En France, 26 % des chefs d’exploitations sont des cheffes, et les femmes représentent 30 % des travailleurs agricoles (salariés et chef d’exploitation). Ces chiffres issus du dernier recensement agricole, ont été présentés en ouverture d’une table ronde sur la place des agricultrices le 20 février 2024 à l’occasion de la journée Back To Hearth organisé par l’association Vox Demeter à l’École supérieure des agricultures (ESA) d’Angers.

Ces pourcentages mettent en lumière l’implication historique des femmes dans le monde agricole. « Il n’y a pas d’agriculture sans femmes, il y a toujours eu des femmes en agricultures, mais jusqu’à récemment elles étaient dans l’ombre de leur mari », détaille Anne Dumonnet-Leca, la créatrice de Vox Demeter.  « Les femmes ont toujours été là, mais elles sont maintenant reconnues », complète Chloé Le Brun, sociologue spécialisée dans la question du genre et de la sociologie rurale.

Des freins à l’installation

Si ces données mettent en avant la contribution des femmes au monde agricole, elles cachent des parts d’ombre. « Ces chiffres ne suffisent pas car ils ne comptabilisent pas les femmes qui, par exemple, se présentent aux points info installation, qui se heurtent à des obstacles en raison de leur genre, et qui finalement ne s’installent pas », détaille la sociologue.

Lucie Mainard, éleveuse de poules pondeuses bio en Vendée, a rencontré un banquier frileux au moment du montage de son projet « en solo ». La banque a finalement approuvé le prêt car elle s’est associée à son mari, lui aussi agriculteur.

Chloé Le Brun juge qu’il faudrait donc étudier les synergies entre « le vivier de femmes qui veulent s’installer et celles qui y arrivent ». Cette étude pourrait permettre répondre à une partie du défi du renouvellement des générations en agriculture, tout en améliorant la mixité dans le monde agricole en levant certains freins à l’installation. Le 20 février, l’ESA d’Angers a d’ailleurs annoncé le lancement de la chaire Agriculture au féminin, afin justement de documenter et de favoriser le retour à la terre des femmes. (Lire l’encadré ci-dessous)

Les femmes changent le monde agricole

Quand elles arrivent à s’installer les femmes transforment les modes de production. « Depuis les années 2000 on observe une corrélation entre l’installation de femme sur l’exploitation de leur conjoint, et le changement de trajectoire de l’exploitation », indique Chloé Le Brun.

Le mari de Lucie Mainard aime dire, en rigolant, qu’elle a « apporté le bordel ». Alors qu’il avait abandonné l’élevage de bovins, elle l’a « ramené avec les poules pondeuses ». Et ce n’est pas le seul bouleversement qu’elle avait dans ses cartons. Le dernier projet en date est l’installation d’auvents photovoltaïques afin de permettre aux poules d’avoir un parcours couvert qui respecte les règles lors de confinements sanitaires.

Amandine Toulza, installée avec son mari sur la pépinière de sa belle-famille dans le Gard, a aussi fait bouger les lignes. « Elle est arrivée dans une exploitation familiale patriarcale et elle m’a permis de prendre du recul, raconte Jean Sébastien Fraunié, son mari. Elle a pu imposer ses choix et faire évoluer l’entreprise à son image. »

De gauche à droite Lucie Mainard, éleveuse, Amandine Toulza, agricultrice, et Gabrielle Dufour, d'Agridées; (© M-A.Batut)

Des changements en faveur du bien-être des travailleurs

Amandine Toulza a aussi participé à la diversification de l’exploitation et à l’amélioration du bien-être des employés. Elle s’attache en effet à les encourager dans leurs efforts, à organiser des moments de convivialité. Le travail en pépinière étant physiquement difficile, elle a mis en place des formations aux gestes et postures avec la MSA. Et elle a fait intervenir une coach sportive. Une fois par semaine, elle anime avec toute son équipe des ateliers de réveil musculaire, l’occasion d’échanger et de mobiliser ses muscles.

Comme Amandine, de nombreuses femmes participent à l’amélioration des conditions de travail tant au niveau psychologique qu’ergonomique. Chloé Le Brun explique que ces améliorations profitent aussi à de nombreux hommes qui ne correspondant pas « à l’imaginaire de l’agriculteur grand et costaud ». « Quand les femmes arrivent, elles disent on n’est pas là pour souffrir au travail », renchérit Anne Dumonnet-Leca.

Ces changements opérés par les femmes ne s’expliquent pas par des facteurs biologiques, mais par leurs parcours de socialisation, comme l’explique Chloé Le Brun : « Les femmes arrivent souvent avec des diplômes non agricoles. Elles injectent de la nouveauté dans un monde agricole qui n’a pas l’habitude de se remettre en question. » Lucie et Amandine ont par exemple toutes deux suivi des études non agricoles, l’une dans l’enseignement et l’autre dans le tourisme.